top of page

Construire une
identité créative

Projets de rue à Barcelone, 2014

En 2014, pendant mes études en design, j'ai commencé une série d'interventions urbaines sur les murs de Barcelone. Au cours de cette année, mon identité créative de jeune activiste passionné a été façonnée par des dynamiques urbaines, de longues promenades méditatives et la volonté continue d'expérimenter dans la ville.

La transformation de murs urbains

Dans la pénombre d'une nuit calme, de nombreux murs urbains sont silencieusement transformés en toiles d'art, souvent sans être remarqués. Le 23 décembre 2013, soir de mes vingt ans, j'ai décidé de devenir l'un de ces promeneurs nocturnes. Dépassant un sentiment croissant d'impuissance en tant qu'étudiant, j'ai affiché mes propres messages dans les rues de Barcelone, ma ville natale depuis mes cinq ans. Avec des compositions visuelles réalisées chez moi, j'ai utilisé la technique du collage à la farine de blé, un mélange fait maison reconnu mondialement pour fixer les affiches.

​

Inspiré par JR, le photographe français qui invite des inconnus à afficher leurs portraits à ciel ouvert, et un ami du lycée qui, en 2011, m'a présenté ce qu'était la démocratisation des musées d'art en collant des copies de chefs-d'œuvre sur les murs de la ville, j'ai adopté cette approche pour réclamer l'espace urbain. J'étais, à l'époque, clairement guidé par une pulsion idéologique émotionnelle et inconsciente dépourvue de toute rationalité. Sans cette pulsion, rien n'aurait été fait, ou du moins, pas avec la même conviction. Plus de huit interventions ont eu lieu en 2014, la plupart ont été documentées tandis que d'autres n'étaient guère plus que des expériences ratées, mais chacune reflétant un désir persistant d'agir de manière créative dans ce théâtre urbain qu'est Barcelone.

​

Capture d’écran 2021-10-06 à 15.14.33.png

Instantanés de mes interventions au papier collé sur les murs de Barcelone.

Emplacement, surface, temps et visibilité

Les rues confuses, pleines de graffitis, peuvent intriguer l'œil curieux sur les dynamiques qui existent au-delà des murs. Alors que certaines actions sont improvisées, d'autres sont planifiées par leurs auteurs, qui choisissent soigneusement leurs emplacements avant d'exposer leurs messages visuels à la ville. Les murs sont ainsi interrogés par l'esprit rebelle, celui qui est désireux de les couvrir de spray, de peinture ou de colle, concevant un changement physique et idéologique dans la mondanité de la rue. Il peut se produire un échange rapide et involontaire de questions et réponses ou un processus beaucoup plus lent basé sur une observation profonde, dans lequel le mur choisi sera examiné de manière répétée dans tous ses détails avant qu'une action prenne lieu.

​

En tant qu'intervieweur de murs, j'ai adopté cette méthodologie avant chaque intervention pour faciliter leur sélection en tant que candidats potentiels. L'emplacement du mur est la première considération, car les caractéristiques d'une rue influent sur les possibilités de l'auteur d'expérimenter tel qu'il l'imagine. Un mur isolé au milieu de nulle part n'est pas le mur d'une rue animée ni le mur d'entrée d'un bâtiment, ce qui entraîne des réactions et des conséquences variées. De plus, un mur en béton n'est pas un mur en bois ou en briques, dans une ville humide ou sèche, où la rugosité, les textures, les trous et les fissures du matériau doivent être analysés avant de le choisir comme surface. Travailler de nuit peut également être préférable pour se maintenir discret. Cependant, même si un mur plongé dans l'obscurité par manque de lampadaires peut réduire le risque d'être surpris par des autorités ou des voisins, cela ne garantit pas la préservation du travail effectué.

​

La visibilité du projet est un autre aspect crucial si on envisage le mur de rue comme un moyen d'attirer l'attention. Les zones densément peuplées semblent idéales pour toucher un large public, mais la configuration étroite de certaines rues peut dissuader les passants de s'arrêter pour apprécier l'œuvre, craignant de gêner d'autres. De plus, les murs tagués sur l'autoroute, dans les gares ou les stations de métro, sont aussi ignorés que les murs du centre-ville, submergés par une abondance de marques visuelles qui réduisent l'intérêt pour tout nouveau stimulus. Avec toutes ces variables à considérer, l'art de rue nécessite en réalité une planification minutieuse, tenant compte de divers aspects qui varient d'une personne à l'autre, d'une bombe de peinture à un pinceau à colle. Les murs de rue diffèrent par leur emplacement, leur surface, le moment choisi pour l'intervention et leur visibilité, ce qui influe considérablement les décisions de l'artiste et les résultats obtenus.

​

Le message

Si les gens n'aiment pas, ils peuvent pisser dessus, le gratter, le retirer. Mais si ce que tu fais crée des réactions et même si les gens le détestent, ça me fait plaisir car ça suscite des conversations. JR, Paper & Glue, 2021, min.33

 

Outre les conditions de rue, le résultat peut varier si le message transcendant l'œuvre d'art ou le moyen utilisé pour mettre en évidence le message concorde avec une réaction du public, liée d'une manière ou d'une autre à l'individu, sa psychologie, son temps et son intérêt, ainsi qu'à la sociologie du quartier et à l'identité culturelle de la ville. Il serait plus facile de dire que seule la qualité de l'œuvre détermine son appréciation, car les fresques murales sont différentes des tags, mais ce n'est pas toujours vrai. Les artistes, en infériorité numérique, et la masse d'amateurs coexistent dans ce paysage chaotique, et tous sont émetteurs de messages, qu'ils soient ou non compris avec succès par leur public. Dans ce processus de communication, lorsque l'émetteur souhaite rendre l'œuvre d'art visible, l'indifférence totale des récepteurs à sa présence semble être une réaction encore plus déconcertante que sa détérioration progressive ou sa destruction causée par la réticence, qui sont au moins les effets de comportements déterminants.

​

Comme la plupart des passants ne font pas attention aux murs modifiés, il peut être intéressant de capturer l'attention d'au moins une seule personne. Lorsque cela se produit, l'auteur peut observer la scène de derrière, croyant avoir partagé des valeurs au-delà de lui-même avec un étranger qui pourrait réagir différemment au mur. Pourtant, la plupart des muralistes et des tagueurs ne recherchent pas cette attention. Certains apprécient simplement d'expérimenter avec leurs outils et les sensations que l'action leur procure, indiquant clairement que le processus de codage du message est la phase la plus satisfaisante, tandis que sa réception a peu d'intérêt. Ce processus signifie passer des heures à marcher la nuit, à transpirer et à respirer anxieusement, n'écoutant que nos propres pas, prêt à ressentir un certain niveau d'adrénaline en transgressant le pouvoir, en partageant sa propre absurdité, son propre sens du monde à ce moment unique.

 

Capture d’écran 2021-10-06 à 15.41.05.png

Mon pseudonyme pour les rues était Ekún, dont la signification est "respect de la nature" en Mapudungun, une langue parlée par les natifs Mapuche dans le sud du Chili.

La ville comme toile ouverte pour le pseudo-artiste

Je les appelle murals. Mural come mur vivant, mur vital, mur moral. Mural comme mur parlant, mur murmurant. Mural comme un mur râle, l’autre pas. Mais, mural comme non-commercial. Ces murs-là n'ont rien à vendre. Agnès Varda, 1980, Mur murs, min.1.50

 

Une fois exposée dehors, une œuvre cesse d'être singulière pour s'inscrire dans un ensemble plus vaste, associée à un style, à un sens et à une intention, ainsi qu'au profil de l'artiste qui l'a créée. Dans une ère où tout est art et où tout le monde est artiste, la ville se transforme en un atelier public où fleurissent les créations anonymes. Les pseudo-artistes de rue ne sont pas seulement en concurrence avec les canaux officiels dans les rues de Barcelone, mais doivent également faire face à un flot incessant de stimuli visuels émanant de multiples sources, visibles sur une variété de supports, des autocollants sur les tuyaux aux offres d'emploi sur les lampadaires, en passant par les graffitis sur les panneaux de signalisation, les mots et les phrases inscrits sur les sols, les murs ou le mobilier urbain, sans oublier les marques sur les portes en métal ondulé des magasins.

​

Avec la prolifération d'affiches, de tags et de graffitis, les murs sont peu à peu abandonnés à une sorte d'anarchie visuelle, devenant pour les voisins des sources d'informations transgressives. Bien que ces murs ont une valeur, qu'elle soit matérielle ou symbolique, ces marques visuelles sont souvent déplorées plutôt que perçues comme un résultat esthétique. Cependant, leur persistance pourrait également témoigner du désintérêt général pour le mur lui-même. Certaines rues sont submergées par leur répétition incessante, provoquant une métamorphose, engendrant soit un sentiment d'insécurité soit une créativité souterraine. Dans ces espaces, l'uniformité esthétique peut être brisée par des chefs-d'œuvre de rue qui parviennent à unir les gens par leur appréciation. Dans ce cas, leurs créateurs méritent véritablement d'être reconnus comme des artistes de rue.

​

L'approbation publique de fresques murales comme œuvres d'art a incité la municipalité de Barcelone à céder certains murs à des collectifs artistiques pour une appropriation légale, garantissant ainsi un certain contrôle tout en améliorant l'attrait de la zone, comme si les murs avaient le pouvoir d'embellir l'image d'un lieu. Ces zones peuvent alors devenir dynamiques, diversifiées et inclusives, favorisant l'expression individuelle, en contrastes avec des murs propres, perçus comme conservateurs et autoritaires. Ainsi, la propreté s'oppose à la créativité, tandis que l'art de rue devient le symbole du progressisme, une notion qui peut diviser les opinions, notamment dans les banlieues. Ces expressions sont perçues différemment dans des atmosphères bohèmes et gentrifiées pour la classe moyenne, que dans des zones plus conflictuelles. Malgré ces divergences, certains pseudo-artistes continuent de créer principalement pour eux-mêmes, ignorant les limites légales et sociales, et se souciant seulement de laisser leur empreinte. C'est ce qui m'a initialement attiré dans ce monde : transformer les murs tout en me transformant moi-même, et susciter des réactions contrastées au-delà de ma rue.

door 2.jpg
wheatpaste.jpg

Exemples de marques visuelles dans le centre-ville de Barcelone.

Les interventions au wheatpaste

Dans la plupart de mes œuvres murales au wheatpaste, j'ai cherché à rendre hommage à des hommes célèbres tels que Nelson Mandela, Salvador Allende et Victor Jara, des icônes charismatiques ancrées dans l'imaginaire collectif et des références pour un jeune activiste désireux de promouvoir des valeurs universelles de tolérance et de liberté. Mais cela n'a pas toujours été le cas. Ma première intervention en décembre 2013, dans le quartier de Sarria, consistait à coller les portraits de politiciens corrompus, dans une tentative de dénoncer le système politique espagnol. Bien que je n'aie jamais été particulièrement fier de ce travail initial et que je ne l'ai jamais promu, il m'a servi de leçon pour les actions ultérieures. J'ai vite réalisé mon désir de partager des messages plus optimistes plutôt que de simplement dénoncer, reconnaissant mon manque d'autorité ou de connaissance pour juger anonymement dans la sphère publique.

​

Fin janvier 2014, lorsque j'ai représenté Mandela à six reprises dans les rues du quartier du Raval à Barcelone, la plupart de ces pièces sont restées visibles pendant une semaine, comme une touche de couleur dans une zone cosmopolite animée. Elles ont permis aux passants de les recouvrir d'écrits, de prendre des photos et de les enlever morceau par morceau jusqu'à leur disparition complète. Reconnaissant la dynamique multiculturelle du Raval, ces six fenêtres éphémères vers Mandela visaient à engager une conversation avec un public plus large. En ignorant presque l'icône, comme si sa présence était non intrusive, je cherchais simplement à obtenir des réactions des passants curieux. Sans révéler ma responsabilité dans ces œuvres, je me rapprochais d'eux pour écouter attentivement leurs impressions et leurs observations presque silencieuses.

​

Dans ma quête continue de célébrer des figures inspirantes, les deux autres personnalités étaient chiliennes, en écho à mes racines du côté de mon père. L'hommage à Salvador Allende était destiné à accompagner la commémoration annuelle de sa mort le 11 septembre, où j'ai offert sa présence à un public chilien-catalan sur la place portant son nom, dans le quartier d'El Carmel. Cette fois, je désirais profondément partager cet événement avec une communauté qui écouterait en silence le dernier discours du président socialiste à la nation avant sa mort. Quelques jours plus tard, un autre mur a été choisi pour commémorer le musicien Victor Jara, assassiné pendant les périodes sombres de l'histoire chilienne, dans une intervention qui a eu lieu près de la place Vila de Gracia, avec la même passion et énergie. Cependant, une intervention qui a échoué de manière inattendue était l'hommage à Pablo Neruda sur un mur qui n'a pas consenti à l'action, avec quelqu'un enlevant les affiches tôt le matin peu de temps après mon passage. On pourrait légitimement se demander ce que des figures chiliennes faisaient à Barcelone, dans des rues éloignées des tumultes du monde.

Mon hommage à Nelson Mandela dans le Raval de Barcelone. À côté de chacune des six œuvres murales, on pouvait lire le poème "Invictus", qui a aidé Mandela à surmonter ses 27 années d'emprisonnement.

Actions nocturnes

Ces séries d'expositions éphémères sont devenues rapidement significatives pour illustrer une méthode de travail en phase d'expérimentation. Les jours précédant chaque intervention, j'inspectais attentivement les murs à plusieurs reprises, notant leurs emplacements dans un carnet, les comparant et les approuvant finalement. Marcher la nuit avec un sac Ikea dissimulant pinceaux, papier et colle est devenu une activité régulière, faisant de la marche une méthode indispensable pour superviser le projet, apaiser les nerfs et se sentir connecté au réel. Bien que les rues ne soient jamais complètement désertes, chaque moment seul était précieux. Les obstacles étaient nombreux lorsqu'une colle n'était pas assez collante, un papier plus épais que prévu, ou une couche de peinture se détachant du mur, rendant l'action moins efficace. Comme coller de grands posters pouvait prendre plus de cinq minutes, il y avait souvent un ou deux amis fiables pour m'avertir des passants et m'aider si nécessaire. Quatre personnes différentes m'ont assisté lors de ces nuits rebelles, et même aujourd'hui, des années plus tard, je leur suis éternellement reconnaissant pour leur présence rassurante.

​

Dans ce processus nocturne, j'ai réalisé que certaines zones, comme le Raval, attirent plus d'attention que d'autres de la part des agents de police et du personnel de nettoyage, reconnaissables à leurs véhicules et uniformes bleus ou verts. Certaines rues sont très fréquentées, mêlées les unes aux autres, tandis que d'autres sont plus isolées. Certaines rues sont longues tandis que d'autres sont courtes, et il est plus facile de voir quelqu'un venir de loin dans les premières tandis que les dernières de l'époque médiévale rendent toute présence imprévisible. Il suffit de quelques secondes pour tourner un coin de rue et trouver un mur pris par un inconnu. Étant moi-même cet inconnu, j'ai pris beaucoup de plaisir à concevoir chaque œuvre, recherchant le meilleur emplacement, me préparant pour l'action, puis documentant les résultats à la lumière du jour, voyant les gens les regarder, les voir disparaître, ressentir le besoin de recommencer ; et toutes ces étapes qui varient dans l'ordre, peuvent aussi varier en termes d'intensité ressentie pour chaque oeuvre, avec certaines plus précieuse que d'autres, avec une histoire plus grande se remémorer. C'est ainsi que la recherche planifiée est structurée et contextualisée lorsque l'on a le choix d'être confronté de manière créative aux murs d'une ville.

Mon hommage à Salvador Allende et Victor Jara en septembre 2014. Pour ce dernier, les deux œuvres murales étaient des photo-collages évoquant la paix, l'égalité, la liberté et la nature, comme sources d'inspiration communes du musicien.

Réactions à la lumière du jour

Certains voisins sont particulièrement protecteurs de leurs murs et réagissent négativement à toute activité artistique dans leur quartier, tandis que d'autres restent indifférents aux changements. Les murs, qui délimitent habituellement l'espace privé du public, deviennent des supports dès qu'un poster y est fixé, une réalité dont j'étais très conscient. Bien que mes interventions soient éphémères, elles visaient toutes à donner un sens à l'espace public, même si elles prenaient en quelque sorte en otage ce qui est public, le mur, pour répondre à mon impulsion personnelle de détruire et de créer.

​

Le mélange de colle et de papier a parfois endommagé visiblement certains murs, en fonction de leur résistance aux altérations. Cependant, une fois le projet terminé et les traces effacées, seuls des souvenirs et des photographies restaient comme témoins de ce qui s'était passé. Il est tragique de savoir à l'avance que l'œuvre est destinée à disparaître, même si elle est née de la passion. Les conversations engagées avec des étrangers pendant ces interventions sont souvent éphémères, et ceux que je n'ai pas vus, rencontrés ou photographiés semblent n'avoir jamais existé, bien qu'ils aient été très présents comme spectateurs anonymes de mes actions.

​

Au départ, il semblait que le mur, avec son affiche, attirait plus d'attention que d'ordinaire, mais quantifier cela était difficile. Certains passants le découvraient peut-être pour la première fois et le trouvaient inhabituel par rapport aux autres murs du quartier. D'autres le voyaient chaque jour et pouvaient comparer son apparence à celle de la veille. Ces spectateurs ont pu intérioriser ou extérioriser leur pensées, établissant des connexions avec d'autres idées dans un dialogue intérieur, apparemment silencieux pour le monde extérieur. Certains ont peut-être pris une photo du mur, tandis que d'autres ont été tentés de le toucher ou ont cédé à l'impulsion de le détruire, considérant cette image indésirable.

​

En tant qu'auteur, j'ai vécu mes propres actions de l'intérieur, projetant mes pensées et mes sentiments dans le mur, qui à son tour les reflétait aux autres personnes, bien que tout ce que j'ai observé de leurs réactions n'ait été que des suppositions. Je sais avec certitude que l'attention des gens s'estompe après quelques secondes, voire quelques minutes dans certains cas ; que l'œuvre d'art disparaît après quelques jours ; mais que le mur, lui, reste, à moins qu'il ne soit décidé autrement et qu'il soit détruit pour être reconstruit sur de nouvelles fondations. Une relation intime s'est construite avec ces espaces, une appropriation dotée d'un nouveau sens, où ma main caressait les murs pendant que je marchais, suivant le parcours wheatpaste pour commémorer le passé et les images de ces faiseurs de changement dont la figure emblématique m'a inspiré à croire que je pouvais en être un moi-même. Tous ces kilomètres parcourus à pied, ces doutes, ces traces de papier et de colle, sont aujourd'hui invisibles, mais restent pourtant imprimés dans un environnement construit qui demeure fidèle à ce que l'esprit rappelle.

Expérience poétique pour montrer comment réaliser un projet avec du wheatpaste.

Collaborations au-delà du wheatpaste

A l'été 2014, j'ai partagé ma recette de colle maison avec deux amis proches pour afficher trois poèmes sur un mur du Consell de Cent, peu de temps après l'intervention sur Mandela et juste avant les fresques d'Allende et de Jara. Cette collaboration nous a incités à réaliser une vidéo documentant un processus que j'avais précédemment entrepris seul. Cela nous a également poussés à explorer des techniques alternatives, notamment le travail avec du vinyle, lorsque nous avons réimaginé le message du métro TMB de Barcelone, célèbre pour son avertissement concernant l'amende de 100€ en cas de voyage sans titre de transport valide. Nous avons créé quatre messages en plusieurs exemplaires pour le remplacer, critiquant le manque croissant d'interaction dans le métro. Ces messages, plus petits que les oeuvres murales, étaient satiriques et placés dans les coins des wagons, ni tout à fait en évidence ni complètement cachés, mais l'adrénaline ressentie était aussi intense que jamais.

Activisme graphique à travers des messages cachés, réalisés à la fin juillet 2014.

Une autre intervention de rue qui transcendait la technique du wheatpaste impliquait la projection d'un film dans une rue du quartier de Gracia, dans le but de visualiser l'expérience d'écouter un extrait d'opéra : La Voix Humaine de Francis Poulenc. J'ai d'abord filmé les visages de vingt-cinq jeunes écoutant la voix désespérée d'une femme abandonnée par son amant, capturant les réactions des passants regardant la vidéo et écoutant cette même voix à travers des écouteurs. Cette initiative visait à unir les gens, presque face à face, à travers leurs réponses à une voix. Pour la rendre possible, non seulement un ami m'a prêté son studio pour connecter les câbles de projection, mais beaucoup d'autres se sont portés volontaires pour enregistrer les réactions des participants et inviter les passants à se joindre au projet. Cette action, avec ses images en mouvement et sonore au bon endroit et au bon moment, avait le pouvoir d'engager davantage de personnes que des affiches imprimées, favorisant ainsi la communication et l'interaction. J'ai également assumé un rôle plus visible en tant qu'initiateur, laissant derrière moi mon pseudonyme et explorant le potentiel d'un designer socialement engagé dans l'espace urbain.

Projection de Voix et Visage à la fin de juin 2014.

S'installer en tant que communicateur visuel

Le but c'est le pouvoir de l'imagination. C'est à dire, on se donne le droit, JR et moi, d'imaginer des choses et de demander aux gens : Est-ce qu'on peut faire notre imagination chez vous ? Par contre, notre idée de toujours c'est d'être avec les gens qui travaillent, donc c'est pour ça qu'on a fait des photos de groupe. Donc il y a en même temps un désir de partager avec vous, les photos de groupe, et de faire nos petites idées, nos petites folies. Ce qui nous fait plaisir en espérant que ça fait plaisir aux autres aussi. Agnès Varda dans "Visages Villages", 2017, min 77. 

 

Les interventions urbaines sur les murs de Barcelone ont exploité diverses formes de communication, résultant d'une planification minutieuse et de compétences acquises au fil d'une année. L'éphémérité était une condition préalable à tous ces projets, et aujourd'hui, certains d'entre eux peuvent sembler absurdes, car les traces de toute action ne comptent que lorsqu'elles sont documentées en images ou en vidéos, si elles sont même vues par un spectateur. Cette exploration était introspective et transformative pour quelqu'un comme moi, dont l'identité interculturelle ne permet pas une installation complète en un lieu, utiliser les murs pour narrer mon histoire était un moyen de m'ancrer, de valoriser des expériences et de tisser des liens durables avec l'environnement immédiat de la ville.

​

Cette réflexion révèle également que les murs que nous connaissons et chérissons aujourd'hui peuvent devenir les ruines de demain, la décadence d'une expression, d'une époque. C'est pourquoi l'émotion dans les blocs de béton, de pierres, de briques, doit être cultivée pour protéger l'expérience que les gens peuvent avoir avec leur ville. Construire un petit mur dans une cour pourrait être comparable au sentiment de planter un arbre, pour admirer ensuite un résultat qui dépasse notre propre existence, littéralement et symboliquement, dans notre quête de transcendance. Il est crucial de reconnaître les liens établis que les gens peuvent avoir avec les murs existants - ceux de l'enfance, du premier baiser ou du premier travail de wheatpaste la nuit d'un anniversaire. J'ose penserr qu'il n'est pas nécessaire de les utiliser comme supports d'expression personnelle pour leur accorder l'attention qu'ils méritent ; la plupart des villes ne le permettront pas, et la plupart des messages ne seront ni vus ni compris. Il est paradoxal de réaliser après avoir pris possession de dizaines de murs qu'ils n'avaient pas forcément besoin d'être appropriés. Les murs créent déjà des atmosphères avec leurs textures et leurs couleurs, et portent en eux le passé d'une ville ou, comme je l'ai dit, des expériences personnelles.

Dernière appropriation éphémère des murs publics en mai 2016 lorsque l'artiste visuelle, Chunyao Fang, alors ma petite amie et maintenant ma femme, a décidé d'improviser une exposition d'art abstrait dans le quartier de Gràcia.

bottom of page