Design social
dans la rue
Sur les sans-abri, 2015–16
Interviewer des personnes sans-abri sur leur environnement quotidien et leurs histoires de vie, m'a inspiré à concevoir un artefact pliable et portable qui a créé six interventions urbaines à Barcelone. Celles-ci ont facilité des conversations entre passants sur nos droits et nos besoins, nous sensibilisant ainsi aux exclusions sociales.
Le Chemin comme expérience de vie
Aucun homme ne devrait traverser la vie sans connaître au moins une fois une solitude saine, voire ennuyeuse, dans la nature sauvage, découvrant qu'il ne dépend que de lui-même et apprenant ainsi sa véritable force, souvent cachée. Jack Kerouac, Le Vagabond Solitaire, 1960, p.113.
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En août 2014, je me suis dirigé vers Irun, une ville basque à la frontière de la France et de l'Espagne, pour passer ma première nuit dans une auberge municipale aux côtés d'autres pèlerins, tous aussi impatients que moi de débuter leur propre Chemin du Nord de Saint-Jacques à l'aube. En tant qu'agnostique, cette marche a débuté par un simple désir de solitude au cœur du sauvage, loin des tumultes urbains. Pendant trente jours, la nature s'est dévoilée sa majestueuse tout le long de la côte atlantique, éveillant les sens tout en me montrant les fragilités du corps à marcher dans le noir ; gravir et descendre des collines boueuses en prenant soin de mes ampoules, muscles et blessures ; luttant contre la déshydratation sous le soleil ; et protégeant mon sac à dos de la pluie. Pourtant, au milieu de ces défis, j'ai redécouvert les simplicités de la vie quotidienne et ses petits plaisirs hédonistes, après trente kilomètres de marche par jour : un café chaud, une bière, des fruits secs, un sandwich de tortilla, une douche, ou une sieste comme récompenses. Mon corps a ainsi trouvé un meilleur contrôle de lui-même, mesurant les distances aux pas et percevant les environnements à une échelle plus humaine. Quant à mon esprit, il a bénéficié de plus de temps pour lui-même, réfléchissant lentement et profondément, prêt à partager des expériences avec des individus venus de tous horizons.
J'ai adopté une nouvelle routine enrichissante, rythmée par ses propres codes et étapes, rassurant ceux qui recherchent l'aventure sans vouloir être trop aventureux. Chaque matin, je me levais à cinq ou six heures, arpentant les sentiers avec mon sac de trente litres jusqu'à deux heures de l'après-midi, me reposant dans le village jusqu'à la tombée de la nuit, prêt à tout recommencer le lendemain. Tout au long du chemin, des marques jaunes nous guidaient mais elles ont symbolisé également notre sentiment d'appartenance à une communauté. Des inconnus m'ont tendu la main chaque fois que je me suis blessé ou avais besoin de nourriture, d'eau ou d'un abri pour la nuit, suscitant en moi un sentiment soudain et profond de gratitude envers la nature humaine. Cet enthousiasme croissant et contagieux à faire le bien au quotidien était inhabituel. De retour à Barcelone, je devenais davantage attentif à ces hommes nomades errant dans les rues avec leurs bottes et sacs à dos. Ce n'était pas des pèlerins avec qui partager des expériences passées ; au-delà de leur apparence, leur statut de sans-abri dissimulait une souffrance bien plus grande. Le chemin peut donner un sens à nos existences dénuées de celui-ci, et l'altruisme des personnes rencontrées le long du Camino m'a inspiré à rendre le même geste à ceux qui en avaient vraiment besoin, pour qui mon mois d'illusion était une réalité quotidienne.
Réinventer l'espace public
La question du type de ville que nous souhaitons est indissociable de celle du type de personnes que nous voulons être, des types de relations sociales que nous recherchons, des relations avec la nature que nous apprécions, du mode de vie que nous désirons, des valeurs esthétiques que nous professons. Le droit à la ville dépasse donc largement le droit d’accès individuel ou collectif aux ressources qu’elle incarne : il recouvre également le droit de changer et de réinventer la ville d’une manière plus conforme à nos vœux. Il s’agit, de surcroît, d’un droit collectif davantage qu’individuel ; réinventer la ville ne peut en effet se faire sans l’exercice d’un pouvoir collectif sur les processus d’urbanisation. La liberté de nous faire et de nous refaire, de faire et de refaire la ville, est, à mon sens, un des droits de l’homme le plus précieux et pourtant le plus négligés. Quelle est donc la meilleure manière de l’exercer ? David Harvey, Villes Rebelles, 2012, p.4.
En septembre 2014, j'ai rejoint un petit groupe de bénévoles de l'ONG Casa Solidaria, qui distribuait de la nourriture aux personnes sans-abri, dans une rue en face de la Gare du Nord de Barcelone, à cinq minutes à pied de l'Arc de Triomphe. Chaque dimanche soir, ma tâche consistait à apporter trente bananes, une modeste contribution qui s'ajoutait aux repas chauds, sandwichs, desserts et boissons pour près de deux cents personnes. La distribution débutait vers neuf heures du soir, où j'observais timidement une rue apparemment calme se transformer en lieu bondé et sombre. La coordination se faisait dans le calme, suivant une liste et un ordre établis : les sans-abri faisaient la queue avec leur numéro en main pendant que les bénévoles installaient les tables pliantes et préparaient les repas à emporter. Il y avaient moins de règles que dans les cantines sociales municipales, mais nous devions rester vigilants face à divers facteurs externes. L'absence d'abri les jours de pluie et le risque de perturbation par des individus agités rendaient notre environnement intrinsèquement précaire.
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Durant mes premiers mois, j'ai eu du mal à trouver la bonne approche pour compatir avec la souffrance de ces hommes sans-abri tout en leur parlant comme si rien de dramatique ne s'était jamais produit. Paqui et Juan Carlos, bénévoles dévoués, m'ont appris que ces personnes ont besoin non seulement de nourriture, de logement et d'hygiène, mais aussi de soutien émotionnel, comme un regard, un sourire ou une conversation. En suivant leurs conseils, j'ai écouté davantage d'hommes, souvent jovial mais grave aussi, me rappelant les dures réalités de la vie dans la rue, dans la misère et la discrimination, soulignant les incertitudes quotidiennes. Beaucoup de visages et de noms ont circulé, certains désireux de donner plus qu'ils ne recevaient, certains cherchant simplement à échanger, tandis que la plupart disparaîtraient un jour sans dire un mot. Parmi tous, Mateo se distinguait.
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Mateo, un coach d'arts martiaux congolais, passait souvent ses nuits sur une petite colline dans le parc de la Gare du Nord de Barcelone. Sage, curieux et optimiste, il s'entrainait chaque jour dans le parc, utilisant le sport pour discipliner son esprit et déconstruire le stéréotype des sans-abri comme des individus perturbés et marginalisés, qu'il considérait comme peu fiables. Lors de nos conversations au sommet de sa colline, qu'il considérait comme son bureau, Mateo m'a enseigné à dépasser les apparences et à apprécier notre environnement du quotidien. Il utilisait un banc pour s'étirer, un arbre pour des exercices de combat et des escaliers pour s'entraîner, réinventant le parc et le transformant en une salle de sport en plein air. Soudain, à la lumière de mes expériences passées avec les murs, il m'est apparu évident qu'une personne puisse se ré-approprier temporairement un espace public, en redéfinissant son usage et révélant des valeurs cachées visibles uniquement pour eux.
Entretien avec six personnes sans-abri
Ils [les pauvres, les marginalisés, les non-instruits] parlent avec sagesse et souvent avec éloquence des choses qu'ils connaissent de première main de la vie. Ils parlent avec passion de préoccupations qui sont locales mais loin d'être étroites. Certes, des sottises sont aussi dites, des choses fausses, et des choses éhontément ou doucereusement intéressées ; et il est bon, aussi, de voir les effets de ces remarques. Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, 1961, p.407
Les réflexions de Mateo ont approfondi ma démarche ethnographique, me conduisant à réaliser des entretiens avec six personnes sans-abri, y compris lui-même, afin de recueillir leurs perspectives et récits. Comment les expériences de personnes socialement exclues enrichissent-elles les discussions sur la valeur de nos espaces publics ? Paqui et Juan Carlos m'ont rappelé l'importance de la confiance pour inciter les interviewés à se confier, étant donné leur fragilité et leur situation personnelle. Équipé d'un enregistreur audio, d'un appareil photo et d'un carnet, mes questions visaient à découvrir leur parcours et leurs souvenirs passés, puis leur endroit préféré en ville, ainsi que leurs aspirations futures. À ce moment-là, début 2015, j'avais laissé de côté mes affiches, comprenant que concevoir avec et pour les gens nécessitait plus de dialogue, reliant le particulier à l'universel.
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Lors de ces rencontres, j'ai réalisé que les six répondants possédaient chacun quelque chose, une conviction ou une activité, qui les faisait avancer malgré leur absence de travail et de logement. Mateo m'a rappelé l'importance du sport pour le respect et la discipline, lui procurant une joie constante dans le parc, entouré d'arbres, d'oiseaux et de la nature en mouvement, un sentiment qu'il souhaitait partager avec d'autres. J'ai également interviewé Santiago, un homme catholique homosexuel dans sa quarantaine, pour qui la musique est une "nourriture spirituelle et une compagne intime" lui permettant d'exprimer sa sexualité à travers la danse. Mateo et Santiago m'ont semblé dynamiques, exprimant même leur volonté d'aider d'autres qu'eux, et comme ils étaient souvent à l'ONG, cela m'a permis de suivre leur évolution sur deux ans. La fragilité mentale de Santiago a empiré des mois après notre entretien, le conduisant à un institut psychiatrique de Barcelone. Pendant ce temps, Mateo a continué à vivre et à s'entraîner dans le parc, élargissant son cercle social tout en continuant de rayonner avec son énergie positive.
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Les quatre autres interviewés n'ont pas été rencontrés à l'ONG, mais directement dans les rues, lors de mes promenades méditatives à la recherche d'inspiration. Sebastian, un artiste argentin originaire de Santa Fe, puisait dans la philosophie pour nourrir sa volonté de survie Nietzschéenne, développant des illustrations pour "un projet de philosophie graphique explorant une nouvelle syntaxe à travers des symboles". Assis en face du musée MacBa, Sebastian trouvait du plaisir dans les choses simples et nouvelles du moment présent, comme notre conversation, qui le sortait de sa routine quotidienne. Non loin de là, dans le quartier de El Born, j'ai connu Rafael, un ancien fleuriste de Valence et un homme joyeux qui aimait dessiner des scènes et des personnages qui le faisaient rire. Rafa aimait pouvoir "se réveiller chaque jour pour voir le lever du soleil, la lumière du jour, prendre un café tranquillement, et commencer à dessiner une fois onze heures passées". Sebastian et Rafa m'ont semblé des individus plutôt créatifs, interagissant avec les passants à travers leurs dessins.
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George, un guitariste tchèque que j'ai trouvé à chanter près du parc de la Ciutadella, m'a parlé de sa connexion avec les autres à travers la musique. Cependant, il était dommage de l'inclure dans mon étude car il avait du mal à exprimer des pensées cohérentes. À l'époque, je manquais de maturité pour reconnaître les défis que cela posait pour un projet de recherche sociale. D'autre part, Alessandro, un homme italien assis par terre avec son chien Otto, avait écrit "La vie est belle" sur un morceau de papier près de la Rambla, exprimant son désir de plus de littérature et allant jusqu'à dire qu'il serait prêt à sacrifier sa vie pour mettre fin aux guerres. Il s'amusait à observer des touristes aisés prendre des photos de son message d'espoir, surpris que cela provienne d'un homme sans-abri au visage désespéré. Alors que Mateo, Sebastian et Rafael semblaient être plus équilibrés, Santiago, George et Alessandro semblaient plus affectés par leur condition, leur esprit s'évadant facilement et leur regard se perdant souvent dans le vide.
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Il est intéressant de noter que l'endroit où j'ai passé une demi-heure avec chacun d'eux était leur endroit préféré dans la ville. Dans ces moments intimes, j'ai découvert que, au-delà de leur passion pour le sport, la musique, la philosophie, l'art et la littérature, ils désiraient tous contribuer davantage à la communauté humaine. Ils recherchaient une certaine connexion, communication et reconnaissance, ne cherchant pas être ignorés ou méprisés dans leur ennui et leur solitude, comme si l'art et l'amour étaient aussi cruciaux que la nourriture et le logement dans leur hiérarchie de besoins. Je me suis souvent demandé s'ils ont toujours été aussi philosophiques et artistiques avant de tomber dans la précarité, ou si cette situation difficile avait révélé des qualités enfouies en eux. Mes convictions ont également pu biaiser le projet, percevant de la créativité là où il n'y en avait peut-être pas. Cependant, en écoutant leurs récits et perceptions comme oubliés et anonymes socialement exclus de notre société, ces moments ont persisté dans un coin de mon esprit et j'ai ressenti une envie de les partager, développant ce qui allait devenir un nouveau projet de recherche-action dans les rues de Barcelone.
Concevoir l'artefact
Nous sommes désormais absorbés par quelque chose, nous n'avons plus conscience de nous-mêmes, même de notre moi corporel. Nous sommes devenus la chose sur laquelle nous travaillons. Richard Sennett, Ce que sait la main, 2008, p.174
Le projet a officiellement débuté au printemps 2015, à dessiner des idées pour une série d'interventions visant à sensibiliser le public aux histoires de mes interviewés, rendant ainsi l'invisible plus visible dans l'espace public. D'autre part, ces interventions, allant au-delà de la communication, avaient pour objectif de créer des transformations physiques éphémères, en recréant des scènes domestiques dans les rues, provoquant ainsi les passants et les incitant à réfléchir à la valeur qu'ont nos foyers, nos rues et notre environnement quotidien. Pour réaliser ces interventions, j'ai conçu un artefact polyvalent, pliable et portable, capable de remplir différentes fonctions qui combinent communication et action, afin d'être déployé dans divers espaces publics de Barcelone. Inspiré par les panneaux d'affichage pop-up, le design de meubles flexibles et les structures accordéon, j'ai d'abord testé mes idées avec des maquettes à l'échelle 1:4 en carton et en bois.
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Après trois mois de recherche et d'expérimentation, la structure de l'artefact a pris forme, composée de douze carrés modulaires de cinquante centimètres chacun. Déployé au sol, il mesurait deux mètres sur un mètre cinquante. Conçu pour être à la fois léger et résistant au vent, la structure était fabriquée en carton haute résistance et en liège, avec des profils PVC et des charnières reliant chaque pièce. Découpés au laser avec précision, chaque carré comportait un trou à chaque angle pour utiliser des tubes en carton qui les suspendent, ou pour joindre et renforcer les modules avec des pièces "Lego". Pour cela, j'ai fabriqué seize tubes de hauteurs variables - huit de cinquante centimètres et huit d'un mètre - certains surmontés de bois pour d'éventuelles extensions. Le tout a été placé finalement dans une grande boîte en bois DM équipée de roues et d'un guidon multifonctionnel, prêts à être déployés dans les rues et les places de Barcelone. Tout ce processus m'a absorbé dans un espace transcendantal où, immergé dans mes pensées, je ne pouvais plus distinguer la réalité de la fiction que j'avais créée, alors qu'elle prenait des dimensions que je n'avais jamais imaginées auparavant.
La structure et les pièces de l'artefact ont été conçues avec du bois, du carton et du liège.
En tant que designers, nous
pouvons donner 10% de notre
talent et de nos idées à 75% de l’humanité dans le besoin.
Victor Papanek, Design pour un monde réel (1983)
Six interventions pour encourager le dialogue
Je l'appelle la triangulation. Par cela, je veux dire ce processus par lequel un stimulus externe établit un lien entre les gens et incite des inconnus à se parler comme s'ils ne l'étaient pas.
William H. Whyte, La vie sociale des petits espaces urbains, 1980, p.94.
L'artefact a été baptisé "Some.where", symbolisant un espace idéalisé au sein de la ville, avec un point entre les deux mots représentant la fusion des histoires, des interventions et des réactions. Some.where n'était pas simplement n'importe où ou nulle part, mais spécifiquement situé dans le temps et dans l'espace. Inspiré par les idées recueillies lors des entretiens, le projet a permis six interventions éphémères - trois axées sur la communication des histoires des personnes sans-abri et trois centrées sur des modifications fonctionnelles de l'espace public. Une fois déployé, les passants étaient invités à répondre à des questions thématiques ou à participer à des activités, souvent aboutissant à des contributions visuelles sur papier. Ces interactions ont été au cœur du projet, l'artefact agissant comme catalyseur de communication, un ouvreur de conversation, presque une excuse pour susciter le dialogue entre passants. Une fois les interventions terminées, l'artefact fut replié, et les liens entre les personnes s'effacèrent, rendant à la rue son état d'origine.
L'artefact dans son contexte avant d'être utilisé, suivi d'images de ses différentes combinaisons.
Le projet était conçu comme une histoire, avec l'artefact jouant le rôle du livre et les interventions comme ses chapitres. La première intervention, près de l'Arc de Triomphe, a présenté des panneaux visuels racontant les histoires de mes six interviewés, accompagnés d'extraits audio diffusés par haut-parleurs. Les passants étaient invités à réagir avec un mot ou un dessin, provoquant des conversations où leur enthousiasme, doutes, opinions et récits personnels étaient partagés librement. Par exemple, deux femmes âgées ont admis se sentir "trop âgées pour comprendre ces choses-là", une famille a remarqué que "c'est ainsi que nous pouvons élever la conscience sociale", et un homme âgé a partagé ses expériences de sans-abri en Argentine. Ces échanges brefs mais significatifs entre inconnus ont été, à mon avis, une étape importante à permettre une rencontre citoyenne dans l'espace public.
24 rue Rec Comtal, quartier de Sant Pere, district de Ciutat Vella, 7 juin 2015, de 12h00 à 14h00
Alors que l'artefact était disposé horizontalement sur le sol de façon très simple, il s'est transformé en banc urbain fonctionnel lors de la deuxième intervention. Pour cela, j'ai choisi l'avant d'une bibliothèque dans le quartier du Raval, où deux barres de design défensives empêchaient de se reposer. L'artefact a été utilisé pour transformer cet espace en un lieu inclusif pour s'asseoir et discuter, remettant en question l'idée selon laquelle certains lieux devraient être peu attrayants et conçus avec méfiance. Les deux barres ont stabilisé la partie horizontale de l'artefact, mais en recherchant la bonne combinaison, nous avons marqué les pièces avec leurs premières 'cicatrices', soulignant ainsi l'importance de l'usage en contexte. Une fois le banc installé, les passants m'ont pris pour un bénévole cherchant des dons, ce qui m'a poussé à changer d'approche en leur demandant plutôt quel était leur endroit préféré dans la ville et quelle activité interdite ils aimeraient y pratiquer. Cela a changé leur attitude, suscitant des discussions sur le Raval et d'autres quartiers, pendant que je recueillais des demandes telles que plus d'espaces pour s'asseoir et boire par terre.
15 rue Maria Aurèlia Capmany, quartier El Raval, district de Ciutat Vella, le 7 juin 2015, de 18h00 à 19h30.
La troisième intervention, tout comme la première, avait pour objectif de continuer à partager les histoires de mes interviewés. Cependant, au lieu de les présenter à travers des panneaux visuels, ces histoires ont été éditées dans une vidéo de cinq minutes montrant leur rue du quotidien. Cette vidéo a été projetée sur l'artefact, qui avait été transformé en un écran d'un mètre et demi de haut, installé dans une petite place entre les quartiers de l'Eixample et de Gracia. Contrairement aux interventions précédentes où j'avais l'aide de deux personnes différentes à chaque fois, cette fois-ci, j'ai bénéficié de l'assistance d'un groupe plus important. Ensemble, ils m'ont aidé à plier et déplier les pièces, et comme j'avais initialement négligé la pente de la place, ce qui a fait que l'artefact soit instable, nous avons trouvé une position stable ressemblant à la lettre C. En connectant mes cables à un studio voisin, j'ai pu projeter la vidéo sur l'écran, engageant des spectateurs à discuter de leurs expériences personnelles dans leur propre rue.
Place Narcis Oller, district de Gracia, le 10 juin 2015, de 21h à 22h30.
À la suite de la deuxième intervention, critiquant le design défensif et les interdictions urbaines, la quatrième intervention dans le quartier de Sarrià, l'un des quartiers les plus aisés de Barcelone, a visé à transformer l'artefact en un petit abri en réponse aux récentes évictions. Un passant a souligné "qu'un toit fait une maison", et cela m'a inspiré à créer un abri en utilisant l'artefact en forme de L. Cette structure avait une couverture au sol et un mur en carton pour se protéger du vent, évoquant les conditions auxquelles de nombreuses personnes sans-abri sont confrontées en dormant à l'extérieur. La place Sant Vicenç nous a offert un espace intime et calme pour inviter les passants à répondre à la question : "Qu'est ce qu'un foyer pour vous ?" Un homme nous a confié que sa femme et ses enfants étaient son foyer, nous incitant tous à réfléchir aux éléments essentiels qui font un "chez-soi" et apprécier le privilège d'en avoir un.
Place Sant Vicenç, quartier de Sarrià, le 14 juin 2015, de 18h00 à 19h30.
Alors que Mateo a été à l'origine du banc pour la deuxième intervention, Alessandro a inspiré la création d'une bibliothèque urbaine lors de cette cinquième intervention. L'artefact a été métamorphosé en étagère et table pour exposer des livres d'occasion. Pendant que je le mettais en place avec mes deux assistants matinaux, un jeune homme s'est approché, me disant : "Hier, je t'ai vu à Sarria, et maintenant je te vois ici à Gracia. Que vas-tu faire aujourd'hui ?" Ce fut une de ces coïncidences inattendues, car il nous a ensuite aidé à déployer la structure. Une fois stabilisée, l'activité pouvait démarrer, où les adultes étaient invités à écrire sur ce que les livres signifiaient pour eux, tandis que les enfants devaient dessiner un souvenir, recevant un livre de leur choix en échange. Cette initiative a attiré des familles, des personnes âgées, une éditrice de livres qui a rédigé un texte sur leur impact sur notre vision du monde, un enseignant, ainsi que de nombreux autres participants, et même la boulangère du coin qui s'est joint à nous pour peindre.
Place Gal la PlaciĢdia, district de Gracia, le 20 juin 2015, de 13h00 à 15h30.
La sixième et dernière intervention dans les rues de Barcelone s'est déroulée dans le quartier de Poble Nou, près de la plage, dans le but de revisiter les histoires de mes interviewés, à l'image de la première intervention, mais à travers six nouveaux panneaux et pièces audio partageant leurs souvenirs et leurs rêves pour conclure cette aventure. Nous avons entamé une conversation avec les passants sur ce qu'ils souhaitaient voir se réaliser dans les rues, qui n'était actuellement pas pris en compte. Une femme a exprimé le désir que les balcons "parlent davantage" aux rues, une autre a souhaité des espaces plus sûrs et plus verts pour que les enfants puissent jouer, tandis qu'une autre a regretté le manque d'actions de protestation. La plupart des participants ont exprimé l'espoir de voir plus d'initiatives aborder les problèmes actuels de leur quartier, certains rêvant, par exemple, de voir moins de voitures dans les rues. Cette fois-ci, la structure de l'artefact comprenait une table carrée de quatre modules et une plus grande de deux modules, l'une des combinaisons les plus réussies avec le banc. Une heure plus tard, tout était rangé dans la boîte, clôturant un chapitre de plus, tandis que je partais avec ma valise en bois, remplie de rêves et de conversations.
Parc de Poble Nou, quartier de Poble Nou, district de Sant Marti, le 20 juin 2015, de 18h30 à 20h00.
Tout au long de juin 2015, l'artefact conspicu a parcouru quatre quartiers très différents de Barcelone. Les six interventions, souvent d'une durée d'une heure ou plus chacune, ont lancé un processus continu de recherche-action, suscitant des discussions sur les droits des citoyens et les environnements urbains. Ces expériences et interactions avec les passants ont inspiré de nouvelles idées pour d'autres interventions à venir. Ainsi, le projet visait à montrer qu'une action éphémère dans la rue pouvait être le prélude à une action plus durable, cette fois-ci dans l'intimité des personnes qui ont observé ou participé à ces interventions, encourageant l'introspection, le développement personnel et, en fin de compte, un processus de transformation sociale.
Vidéo récapitulative de toutes les interventions et combinaisons de l'artefact sur deux semaines.
Les douze panneaux graphiques de la première et dernière intervention.
La narration des interventions et les données quantitatives collectées auprès des passants.
La présentation du projet à mes tuteurs et camarades de classe.
Design pour l'impact social
En tant que designers, nous pouvons donner 10% de notre talent et de nos idées à 75% de l’humanité dans le besoin. Victor Papanek, Design pour un monde réel, 1983, p.68
À la fin du mois de novembre 2015, j'ai été invité à présenter ce projet lors d'un atelier au Musée du Design de Barcelone, dans le but de promouvoir le design en tant qu'outil d'activisme social, et d'explorer une fois de plus la relation symbiotique entre le design et l'ethnographie, invitant un groupe de participants à explorer des questions sociologiques inspirées par les interventions. Enthousiaste à l'idée de cette nouvelle opportunité de déployer l'artefact, même si c'était en intérieur, je me suis questionné sur la possibilité que le projet Some.where soit un exemple de design social dans un domaine de recherche-action collaboratif et inclusif. Lors de mes six interventions urbaines, j'ai remarqué que je n'étais jamais seul à travailler et que la plupart des passants qui s'arrêtaient pour interagir avec nous saisissaient l'occasion de parler de leur quartier comme si l'artefact, dans sa forme, facilitait cet échange de paroles et de regards. La communication est devenu le résultat caché du projet, pas l'artefact, ni les interventions, mais sans eux, une telle communication n'aurait pas été possible. Ainsi, les participants à l'atelier ont réalisé que parler et écouter activement dans un contexte donné - à la fois des routines et des réflexions intellectuelles plus profondes - était un facteur de changement intime et social.
En juin 2016, un an plus tard, j'ai quitté à la fois l'ONG et Barcelone, après avoir consacré une partie de mon temps libre à collaborer avec eux, notamment en représentant leurs valeurs à travers une vidéo promotionnelle où des bénévoles et des sans-abri étaient interviewés. Cependant, c'est Mateo qui, une fois de plus, m'a poussé à réfléchir au potentiel du design comme outil de communication visuelle pour autonomiser les gens. Pendant mes derniers mois, j'ai contribué à promouvoir ses services de formation aux arts martiaux à travers deux courtes vidéos, tout en concevant sa carte de visite, son CV et lui enseignant même des compétences informatiques pour soutenir sa recherche d'emploi. Mateo a non seulement remis en question ma perspective sur la valorisation de notre environnement, tout comme le Camino l'a fait en regardant au-delà, mais il a également remodelé mon rôle de designer en explorant de nouvelles méthodes de communication et de collaboration dans les espaces urbains. Il a démontré que même les personnes socialement exclues peuvent offrir une perspective rafraîchissante sur notre environnement quotidien, remettant en question, dans notre aveuglement, si nous savons apprécier ce que nous avons déjà.